A partir de 10 ans • Orage est le fils et digne héritier du très redouté Seigneur des ténèbres, le Comte Sombreflamme, qui règne en maître sur le sombre royaume du Mal. Son destin est tout tracé: comme son père, et le père de son père avant lui, sait qu’il devra un jour enlever une princesse, puis affronter un chevalier qui viendra inévitablement la délivrer. Et Perdre. Oui, perdre. Parce que c’est toujours le Bien qui gagne, et puis c’est tout. Ca toujours été comme ça.
En attendant, il suit des cours avec Luzerne, son maître gobelin pour apprendre, entre autres, à terroriser les villageois, et il écoute chaque soir sa mère lui raconter des histoires de chevaliers, de princesses et du Seigneur des ténèbres, qui perd toujours à la fin.
Mais Orage, ça ne l’intéresse pas. Déjà, il ne comprend pas pourquoi il doit faire tout cela au lieu de s’amuser tranquillement, et pourquoi il doit toujours perdre à la fin. Alors lui vient une idée: et s’il se débarrassait maintenant de cette destinée toute tracée? Et s’il allait cette nuit kidnapper la princesse, combattre un chevalier, et puis hop, perdre comme on l’attend de lui? Une fois terminé, on ne lui demandera plus rien, il aura accompli son devoir et sera libéré de cette pesante tradition.
Orage décide alors de fausser compagnie à son monstre-sous-le-lit Gérard (il monte la garde la nuit) et emprunte le dragon de son père pour aller enlever cette fichue princesse. Sauf que Régalia (c’est son nom), n’est pas tout à fait celle à laquelle il s’attend. Bien plus dégourdie que les princesses habituellement décrites dans les histoires lues par sa mère, elle va chambouler tout ce qui est en place depuis des lustres dans les royaumes du Bien et du Mal.
Un conte « féministe »
Enfin un conte intelligent avec du chevalier et de la princesse dedans! Tous les ingrédients y sont: le château, la princesse, le chevalier, le dragon, le méchant, les gobelins, tout. Mais la recette est bien différente.
Dans la première partie, on découvre la vie d’Orage dans son château tout noir avec son père, un peu bas du front, qui ne s’exprime qu’en hurlant et ne quitte jamais son armure, et sa mère, plus fine, qui finalement mène la barque et surtout son mari. Cette partie est un peu longue mais permet de bien comprendre à quel point toute l’existence des Seigneurs des ténèbres et du royaume du Mal dans sa globalité ne servent qu’un but: celui de réaliser la prophétie et de répéter, génération après génération, ce fameux scénario de la princesse kidnappée-sauvée par la héros et de la victoire du Bien sur le Mal. Bon certes, on peut aussi terroriser un peu les villageois au passage mais ça, c’est juste pour le fun. Comme le dit la devise du royaume du mal: « Nous faisons le mal et nous le faisons bien ».
A partir de la rencontre d’Orage avec la princesse Régalia, l’action commence vraiment. Ils vont chacun réaliser que l’autre ne correspond pas à ce qu’on leur a rentré dans le crâne depuis l’enfance. Ils réalisent assez rapidement qu’ils ont une chose en commun (à part aimer voler en dragon): ils n’ont pas envie de suivre la route qu’on leur impose et souhaitent être libres de leurs choix de vie.
Le conte est plein de messages d’une très grande valeur pour les enfants. Déjà, il est féministe. Il casse l’image qu’on se fait de la princesse qui n’a pas son mot à dire et qui se fait balader de château en chevalier comme un vulgaire objet. Non seulement Régalia fait entendre sa voix dans l’histoire mais c’est même elle, la véritable héroïne. Loin d’être idiote et passive, elle est la première à se rebeller contre l’absurdité de sa condition de princesse et contre l’hypocrisie de l’ordre établi entre le Bien et le Mal. Une fois son message exprimé, chacun ne peut que se rendre à l’évidence: elle a raison.
La critique de la manipulation politique du royaume du Mal par le royaume du Bien et de la soi-disant bien-pensance de ses dirigeants est également bien vue, mais le message est certainement un peu trop compliqué pour les jeunes lecteurs. En tout cas, ça parle aux parents!
Une mention spéciale pour Gérard, le monstre-sous-le-lit: mon personnage secondaire préféré. Présent dès le début du livre, il revient deux fois à des moments clés et il est vraiment très drôle. J’aime beaucoup l’idée du contre-emploi de Gérard, qui n’est pas là pour faire flipper les enfants mais pour les protéger la nuit. C’est tellement parfait! Ma vanne favorite : « Ah, moi j’fais qu’mon boulot… on me dis d’claquer les intrus, je claque les intrus… »
L’illustratrice CarineM, qu’on connaît déjà bien notamment pour Spooky, a un style qui colle parfaitement à l’ambiance du livre: mignon et creepy. Les pages sont animées de petits crayonnés en noir et blanc qui collent parfaitement bien aux scènes. La couverture flashante avec son vert fluo (genre gave de gobelin) est parfaite pour le jeune public visé. Très dynamique et vraiment fun.
Qui a testé?
Moi à 2x 20 ans et la cousine S. à 10 ans. J’ai été agréablement surprise par la tournure que prend ce conte pas comme les autres et le message qu’il fait passer. Ma nièce était ravie de voir enfin une princesse pas cruche du tout.